À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, des normaliennes des départements de physique et d’informatique témoignent sur leur parcours et sur leur engagement pour plus de parité en sciences.
« En France, les femmes scientifiques restent une minorité” rappelle Charlotte Jacquemot, chercheuse en sciences cognitives, directrice du Département d’Études Cognitives et référente égalité à l’ENS-PSL. Depuis plusieurs années l’ENS met en place des initiatives pour plus de parité dans ses départements scientifiques, avec notamment du mentorat, un programme de bourse ou encore des événements et rencontres avec des scolaires, comme lors du mois Femmes et filles de sciences qui s’achève.
Des inégalités vécues dès les études secondaires
“J’ai commencé à avoir conscience que ce n’était pas perçu comme normal pour une femme de faire des sciences au lycée, à cause de remarques désagréables d’autres lycéens. Mais mes classes ont toujours été paritaires. C’est en rentrant en classe préparatoire que j’ai été frappée par le manque de femmes, nous étions 9 sur 47 en première année, puis 6 sur 35 en deuxième année. J’ai commencé à avoir conscience de vivre du sexisme. Je ressentais que c’était plus difficile d’être écoutée et vue comme capable de comprendre ce qu’on apprenait par mes camarades de classe. C’était aussi plus dur de me sentir légitime à faire des maths, alors que je n’avais jamais ressenti ça dans des classes paritaires. En avançant dans mes études, j’ai gagné en confiance, mais ça m‘arrive encore souvent de devoir prouver que j’ai ma place.”, explique Valentine Blanpain, étudiante en master d’informatique à l’ENS-PSL et qui se spécialise en cryptographie et en informatique quantique.
Valentine Blanpain, normalienne
Une expérience similaire partagée par Charlotte Farcot-Delfini, étudiante en deuxième année de master au département de physique : “Je n’ai commencé à ressentir les effets du manque de parité en sciences qu’à partir de la classe de première scientifique. Le nombre de filles a drastiquement diminué, et j’ai ressenti que le regard et l’attitude des professeurs (quasi exclusivement masculins) a commencé également à changer. C’est surtout la première année de classes préparatoires aux grandes écoles qui m’a semblée violente, tant par la différence de traitement filles/garçons par les professeurs que par le comportement des élèves garçons de ma classe, assez méprisants envers les filles. Depuis mon entrée à l’ENS, même si le manque de parité persiste, j’ai de nouveau l’impression d’avoir toute ma place, et je peux surtout m’épanouir pleinement, et ce, à la fois grâce à l’accueil et l’attitude de mes professeurs, que du comportement de la plupart des garçons de ma promotion.”
Rendre visible les femmes scientifiques : la clé pour atteindre la parité
Valentine Blanpain s’engage pour la parité, en participant chaque année à l’organisation des Rendez-Vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes (RJMI), journées immersives à l’ENS dédiées aux maths, à destination de lycéennes. “Je pense qu’il faut exposer le grand public, en particulier les enfants, à des images de femmes scientifiques à travers lesquelles elles peuvent se reconnaître. Cela passe par des actions dans les classes, des journées en non-mixité, la création de contenu où des femmes scientifiques sont visibles… Puis dans le monde professionnel, je pense qu’il faut augmenter la visibilité du travail des femmes, notamment des chercheuses. Lors de mon stage de deuxième année, j’ai assisté à une conférence donnée par une chercheuse qui présentait un travail réalisé avec sept autres auteurs, toutes des femmes. Ça m’a beaucoup marquée. »
Amélie Fournier, en première année de master au département de physique, a elle-même participé à des (RJMI) étant plus jeune : “J’ai été accueillie par des étudiantes de l’ENS de Lyon, et je garde un très bon souvenir des moments partagés avec les autres participantes. Plus il y aura d’images de femmes scientifiques dans l’imaginaire collectif, plus les jeunes femmes seront inspirées à poursuivre ces carrières.”
Amélie Fournier, normalienne, boursière Femmes et sciences
Convaincre les jeunes femmes qu’elles ont leur place dans les études scientifiques
Lancé en 2023, le programme de bourses Femmes et sciences de l’École normale supérieure attribue une bourse de 1000 euros par mois à chaque étudiante admise via le Concours Normalien Étudiant (CNE) dans les départements de physique, mathématiques et informatique. En seulement deux ans, le nombre de candidatures de femmes a augmenté, et les départements de physique et de mathématiques ont recruté leur première promotion paritaire via le CNE.
Amélie et Charlotte sont boursières de ce programme :
“La bourse offre un avantage financier lors des mobilités à l’international pour les stages de recherche et les expériences d’études dans un contexte culturel différent. Elle s’accompagne aussi d’une prise en compte des biais de genre lors du processus de sélection, car les jeunes femmes ont tendance à moins se mettre en avant.” explique Amélie Fournier.
« Il est indéniable que l’attractivité de ce programme de bourse, ainsi que la prise de conscience par les étudiantes de la volonté très soutenue qu’a l’ENS d’avoir plus de parité en science pourrait avoir un effet déclic pour les étudiantes qui s’auto-censureraient. Il pourrait également avoir un effet positif sur le long terme, notamment sur les carrières des boursières, qui entrent dans la vie professionnelle avec un atout majeur.”, ajoute Charlotte Farcot-Delfini.
Charlotte Farcot-Delfini, normalienne, boursière Femmes et sciences
Enfin, organiser des rencontres avec des chercheuses et des enseignantes peut inspirer les étudiantes à continuer leurs études malgré les défis rencontrés, selon Valentine Blanpain : “J’ai ressenti dans mes études une vraie sororité entre femmes étudiantes et chercheuses en sciences. Grâce à des événements à l’ENS, j’ai pu discuter avec des chercheuses dès le début de ma première année, et ça a vraiment compensé le fait d’être peu de femmes en classe. »